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Les seniors et les étudiants sont-ils moins importants que les monuments historiques ?

Si gouverner c'est prévoir, il apparaît que, dans le domaine de la construction des logements étudiants et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (E.H.P.A.D.), la France est bien mal gouvernée.

Dans ces secteurs, pourtant cruciaux, le retard accumulé est considérable : il manque actuellement 350 résidences étudiantes et 2 500 résidences médicalisées pour personnes âgées dépendantes. Pire : il en manquera le double à l'horizon 2025. Et l'on attend vainement l'annonce, par les pouvoirs publics, de mesures permettant de financer ces besoins*.

Par Philippe Mattei, avocat fiscaliste, ancien premier conseiller à la cour administrative d'appel de Paris (chambre fiscale).

Plus préoccupant, le fisc semble remettre en cause le recours au mode de financement privé, qui, depuis 1996, a pourtant clairement fait la preuve de son efficacité.

Depuis 2003, certains investisseurs privés, qui achètent par le biais de sociétés de famille des locaux en état futur d'achèvement (VEFA) dans des résidences étudiantes ou dans des E.H.P.A.D, se voient en effet refuser la défiscalisation correspondant au statut de loueurs en meublé professionnels (LMP).

Motif invoqué : leurs sociétés ne percevraient pas encore de loyer durant la période de construction couverte par la VEFA. Rappelons que pour d'autres incitations fiscales (loi Malraux, loi sur les monuments historiques, loi Girardin sur les DOMTOM) l'administration autorise des défiscalisations importantes, sans limitation de montant, y compris au titre des années au cours desquelles s'opère la VEFA.

Devant ce défi majeur et pour pallier l'insuffisance des pouvoirs publics : le recours au financement privé est une solution qui s'impose.

Pourtant, grâce à un dispositif fiscal très incitatif, le mode de financement sur plan lié à la VEFA des logements étudiants et des E.H.P.A.D. permet aux investisseurs de s'engager en faveur de l'intérêt général : en dirigeant leur pouvoir d'épargne et d'investissement vers le logement social et spécialisé, ils viennent au secours d'un secteur souvent abandonné par l'Etat, faute de crédits, et dans lequel les besoins restent gigantesques.

Le recours au statut LMP reste la solution appropriée pour les programmes neufs. D'une part, il permet de rattraper le retard accumulé dans le domaine des logements étudiants et des E.H.P.A.D. ; d'autre part, il procure à l'Etat, sur 15 ans, grâce aux nouvelles recettes fiscales induites par la mise en service des nouvelles résidences, six fois le montant de la défiscalisation initiale, charges sociales comprises.

Mais, depuis peu, comme nous l'avons déjà souligné, l'attitude du fisc a changé. Se fondant sur une réponse individuelle non publiée de la Direction de la Législation Fiscale (DLF) du 26 septembre 2002, qui interprète à la lettre les articles 151 septies et 156 I 1°bis du CGI, certains services de l'administration fiscale remettent en cause la défiscalisation en cas d'achat en VEFA.

Ils exigent que l'investissement dégage des recettes supérieures à 23 000 euros dès l'année de création. Désireux de favoriser les LMP, le législateur, au contraire, n'a jamais envisagé une telle exclusion au cours de la première année : le déficit provient en effet de la prise en compte des frais d'établissement, qui, par définition, précèdent le début des opérations d'exploitation et donc la perception des premiers loyers. Heureusement, à ce jour, la déduction reste encore la règle dans la plupart des directions des services fiscaux de France.

Une attitude ambivalente de la part de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction de la législation fiscale

Reste que, selon les cas, la loi fiscale est appliquée de manière différente. Or, le rôle d'une administration centrale est de faire en sorte que la législation soit appliquée de la même manière sur l'ensemble du territoire national. La DGI, sans conteste l'une de nos meilleures administrations, sinon la meilleure, semble pourtant s'accommoder, en cette période préélectorale, d'une situation ambivalente et génératrice de discrimination entre les contribuables. Ces derniers sont actuellement traités différemment selon, par exemple, que leurs entreprises sont domiciliées en région parisienne ou dans le reste du pays.

Le 13 septembre 2006, la Direction de la législation fiscale a estimé, par la voix de l'un de ses représentants interrogé à ce sujet, que sa doctrine officieuse du 26 septembre 2002 était conforme à la volonté du législateur. Il a été précisé, de surcroît, que la dimension sociale et économique du problème n'était pas à prendre en considération au motif que le statut de LMP n'avait pas été conçu au départ comme une incitation permettant une défiscalisation, comme c'est le cas pour la loi Malraux sur les secteurs sauvegardés ou la loi sur les monuments historiques.

Rien n'y fait. Ni la catastrophe sanitaire de l'été 2003, qui a causé la mort de 15 000 personnes âgées, ni le désarroi de milliers d'étudiants, qui n'arrivent pas à se loger décemment. Les pouvoirs publics semblent se préoccuper davantage du sort de nos monuments historiques, voire des détenteurs d'œuvres d'art, que de celui de nos aînés et de nos étudiants.

Pourtant, selon l'INSEE, trouver une solution au financement des logements étudiants et des chambres dans les E.H.P.A.D. représente l'un des défis majeurs de ces vingt-cinq prochaines années. Les candidats déclarés à l'élection présidentielle seraient bien avisés de se pencher sur la question.

* La seule mesure significative prise à ce jour fut de rendre non férié le lundi de Pentecôte, permettant ainsi de dégager un bonus de 2 milliards d'euros affecté « directement » à la modernisation des maisons de retraite. On notera qu'actuellement, pour 20 E.H.P.A.P construits, 10 sont fermés car ne répondant plus aux normes.


Source : www.senioractu.com

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